L’écrivain franco-ontarien face au discours sur la race

19 novembre 2020

La notion de «race» et tous les discours qui l’entourent soulèvent encore les passions dans la société canadienne. Le sujet s’est invité à la 3e édition du Salon du livre afro-canadien (SLAC), qui s’est tenu en ligne du 29 octobre au 1er novembre, et a interpelé trois romanciers franco-ontariens.

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La table ronde, organisée par l’Association des auteurs et auteures de l’Ontario français (AAOF), avait pour titre «Et si la race tuait deux fois?».

Il s’agit d’une référence à la thèse soutenue par la sociologue Rachida Brahim à l’Université d’Aix-Marseille en 2017, La race tue deux fois : particularisation et universalisation des groupes ethniquement minorisés dans la France contemporaine, 1970-2003.

Selon l’animateur de l’événement, l’auteur et président du SLAC 2020 Blaise Ndala, cette recherche porte sur les crimes commis contre les immigrés en France entre 1970 et 2003. Brahim y démontre que la race tue une première fois lors de la violence qu’on fait subir à une personne racisée, puis une seconde fois en raison du traitement pénal, politique et législatif entourant cette violence.

Les trois romanciers invités à disséquer ou décortiquer le mot «race» étaient Didier Leclair, d’origine rwandaise ; Monia Mazigh, d’origine tunisienne ; et Sébastien Pierroz, d’origine française. L’animateur Blaise Ndala est originaire du Congo.

La pointe de l’iceberg

Selon Didier Leclair, les réseaux sociaux ont braqué la lumière sur la violence à l’endroit des personnes racisées, mais cela n’est que la pointe de l’iceberg. La quête d’une plus grande liberté demeure presque toujours occultée. «On exige énormément des gens racisés, mais on leur donne peu en retour. Les gens dits “de souche” ont un examen à faire.»

Sébastien Pierroz a quitté un État laïc, la France, pour s’installer dans un État multiculturel, le Canada. Il croit que notre pays «cherche à accepter tout le monde, mais les tensions et le manque de dialogue demeurent manifestes. Il y a beaucoup de non-écoute ; l’Autre est considéré plus comme un adversaire que comme un allié.»

Monia Mazigh estime que les réseaux sociaux ont rendu l’existence du racisme plus visible, «mais ils n’ont pas rendu la parole des personnes racisées plus audibles». En tant que femme arabo-musulmane et épouse de Maher Arar, qui a été détenu en Syrie, elle croit que «ça prendra plusieurs années avant qu’on puisse redistribuer équitablement les cartes sur l’échiquier économique et politique».

Rentrer dans le moule ou revendiquer sa différence?

Blaise Ndala a souligné que la bibliothèque publique de North Bay avait récemment retourné des livres aux Éditions Prise de parole de Sudbury parce qu’il y avait un manque d’intérêt pour des histoires qui ne se passent pas dans des familles franco-ontariennes ou québécoises. Les romans d’ici doivent-ils toujours avoir une touche canadienne?

Monia Mazigh s’insurge contre une telle approche. Elle a écrit trois romans pour témoigner de son vécu et partager son histoire en tant que femme et musulmane. «Mon lectorat doit aussi prendre le temps d’écouter, sinon il n’y a pas de partage.»

Sébastien Pierroz ajoute que «écrire, c’est se rencontrer soi-même. Je suis un allié des personnes racisées.»

Auteur d’une dizaine de romans, Didier Leclair croit que le rôle de l’écrivain est de provoquer la discussion, voire de pourfendre. «On doit prendre tous les risques et frapper sur ce qui ne va pas. L’écriture est la déségrégation de l’esprit.»

Demeurer authentique

L’animateur Blaise Ndala a demandé aux trois romanciers s’ils sentaient le besoin de se distancier parfois du débat entourant la racialisation. Monia Mazigh a immédiatement répondu qu’elle souhaite demeurer «authentique», donc écrire des histoires qui reflètent qui elle est.

Didier Leclair, Kabagema de son vrai nom, a souligné qu’il a pris un pseudonyme, Leclair étant le nom de son épouse, mais que l’Afrique le suit partout. «Je ne cherche pas à être le porte-étendard d’un groupe racisé, mais je reconnais que l’écrivain est toujours un traître.»

Selon Sébastien Pierroz, qui a publié le roman Entre parenthèses en 2016 : «Il ne faut pas figer les écrivains dans la couleur de leur peau, dans leurs origines. Ils sont des êtres beaucoup plus complexes.»

 

SOURCE DE L’ARTICLE: Paul-François Sylvestre — Initiative de journalisme local – APF – Ontario